Rencontre à la Brasserie Coopérative Liégeoise

Mardi 5 juin, nous sommes allés à la rencontre d’une initiative locale en filière courte brassicole, à la Brasserie Coopérative Liégeoise (BCL). Depuis 2015, la BCL, installée à la Ferme à l’Arbre de Liège, développe le doux rêve de garantir des bières 100% locales, du champ à la bouteille. Une utopie ? Neni ! Michel, Frédéric et Stany, 3 des fondateurs du projet, nous emmènent à la découverte d’un circuit court comme il en existe peu en Wallonie.

Un lieu propice à la culture de l’idéal !

Au premier abord, une simple ferme qui résiste à la pression urbaine alentour. Il faut y pénétrer, discuter avec ses exploitants et s’intéresser à leur travail pour se rendre compte qu’on n’est pas n’importe où ici !

La famille Pâque élève et cultive à Lantin dans le pur respect de l’esprit bio. Ce sont même des pionniers en la matière. Au temps du rendement roi, Henri Pâque se pose les bonnes questions et décide que son retour à la terre ne se fera pas à tout prix. Fils d’agriculteur, il aspire à quitter son travail de bureau et se lancer dans l’agriculture nourricière. Lorsqu’il passe le pas, en 1978, les légumes produits le sont de manière respectueuse de l’environnement et de la santé des consommateurs.

Le « bio » n’existe pas encore officiellement à l’époque. On questionne, on observe et on sait qu’ici, on peut avoir confiance. Il faudra attende 1983 (labellisation Nature&Progrès) puis la première réglementation européenne BIO pour la reconnaissance officielle (1992). Mais la réputation du lieu est déjà faite. Elle a permis le développement extraordinaire de l’entreprise familiale, qui élève et cultive actuellement sur 44ha, transforme et vend ses produits sur place, et promeut même le bio local à travers le restaurant installé à la ferme.

C’est donc tout naturellement que la famille ouvre ses portes à l’innovation dans le domaine, en accueillant en son sein la Brasserie Coopérative Liégeoise. Un projet bio, local, axé sur la qualité, les valeurs environnementales et sociales. Une continuité qui a du sens !

Pour plus d’informations sur la Ferme à l’Arbre de Liège, un des plus anciens signataires Nature&Progrès, c’est par ici.

Du local, du local, rien que du local !

Qu’est-ce que le local ? Certains diront que si tous les produits sont belges, ce n’est déjà pas mal. D’autres seront plus exigeants sur la provenance régionale des matières premières. A la BCL, on aimerait atteindre le local au sens strict du terme. Que tous les produits, matières premières comme matériaux, viennent des alentours directs de la ferme. Ce n’est pas encore le cas, mais on y arrive (voir paragraphe suivant : work in progress).

A l’heure actuelle, l’orge brassicole provient de la région de Huy. Le maltage se fait à la malterie Dingemans, qui travaille avec des lots de taille réduite, à façon et en BIO ! Le houblon, lui, vient d’une houblonnière à Poperinge. Et enfin le froment, utilisé dans la recette de la Badjawe, est produit à la Ferme à l’Arbre de Liège. Il s’agit d’un froment panifiable ajouté à cru pour ses arômes, une meilleure tenue de la mousse et un petit trouble caractéristique.

« Nous travaillons avec une coopérative de producteur en formation (CultivAE). Parmi les agriculteurs partenaires de cette coopérative, nous travaillons avec la ferme Jolly pour leur compétence, sérieux et équipement de pointe dans les grandes cultures en bio. On s’est arrangé cette année sur 10 tonnes de malt à partir de leur orge brassicole. » Frederic Muratori – Co-fondateur de la BCL

Pour plus d’information sur le processus de maltage et ses problématiques en Belgique, voir notre compte rendu de la rencontre citoyenne du 24 avril.

                                  Les cônes de houblon séché                    |              On peut gouter le malt sans crainte, c’est du BIO !

L’eau utilisée est celle de distribution. Dans l’esprit d’une production respectueuse de la santé et de l’environnement, elle est filtrée à l’aide d’un filtre à charbon avant d’être ensuite mise à ébullition longue à couvercle ouvert. On limite ainsi la présence de substances indésirables sans passer par un processus industriel complexe. Idéalement, les coopérateurs aimeraient installer un puit.

Dans la continuité de l’esprit « local », l’exportation ne fait pas partie du modèle économique de la BCL. La brasserie ne produit déjà pas de quoi contenter la demande nationale. Mais le responsable commercial ne l’exclut pas. L’exportation sera envisageable si le développement de l’entreprise permet un surplus de production, une fois les besoins locaux remplis. On en n’est pas encore là !

« On travaille avec des matières premières locales, le but c’est de les valoriser localement aussi. Si c’est pour que l’argent reparte ailleurs, on va à l’inverse de notre projet ! » Stany Herman – Co-gérant et responsable commercial

 Work in progress

Le 100% local n’est donc pas encore atteint mais est en bonne voie. La coopérative a le projet de se fournir en orge à Lantin même, au plus proche de la brasserie. Et pour s’assurer une maitrise totale de la filière, un projet de micromalterie est en réflexion. Si cela se concrétise, l’association avec d’autres brasseurs est essentielle pour la pérennité du projet. Les lots de malt pourront ainsi être partagés en fonction des besoins spécifiques de chacun, sans perte.

Pour plus d’autonomie, les « éleveurs de bières » de la BCL se sont récemment lancés dans la culture du houblon, forts de l’expérience transmise par Joris Cambie, producteur de houblon biologique dans la région de Poperinge, et leur fournisseur actuel. Première houblonnière BIO de Wallonie, elle représente un défi de taille !

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Le terrain de 0.75 ha permet la plantation de 900 pieds, soit de quoi couvrir la production de 1000 HL de bière (pour l’instant, la capacité de production de la brasserie est de 300 HL). 600 pieds ont déjà été plantés, les 300 autres sont prévus pour fin juin. Cela s’est fait dans la convivialité prônée par la BCL, lors d’un chantier participatif.

Le sol sablo-limoneux riche en matière organique permet de limiter les apports extérieurs. La culture du houblon se pratique habituellement en butte. Ici ce n’est pas le cas et la maîtrise des adventices se fait mécaniquement, voir artisanalement, à la main. Comme dans toute culture BIO, le désherbage reste le point sensible.

Le choix des variétés de houblon est très important selon le résultat voulu. Malheureusement, beaucoup sont protégées par les sélectionneurs et ne peuvent donc être utilisées par n’importe quel houblonnier. Ici, ce sont des variétés libres, rustiques et d’origine anglaise. Pourquoi ? Tout simplement pour limiter les risques, en utilisant des variétés bien connues de nos cultivateurs, puisque ce sont déjà celles fournies par Joris Cambie. Deux sortes sont pour l’instant plantées : une amérisante et une à double-emploi (amérisante et aromatique). D’autres suivront.

Pour plus d’information sur la fabrication de la bière, voir la présentation de Bruno Godin (CRAw).

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Le houblon est une liane vivace qui se reproduit par rejet à partir d’un rhizome (tige souterraine). On peut espérer repartir du même plant pendant 25 ans si on est chanceux.

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Houblonnière à la ferme à l’Arbre de Liège

 

C’est une plante dioïque (plants femelles et mâles séparés). Le brasseur n’est intéressé que par les plants femelles, qui produisent les précieux cônes. Ceux-ci contiennent de la poudre de lupuline, dans laquelle sont présents de nombreux composés, apportant amertume, arômes et stabilité à la bière.

Mais attention, les cônes ne doivent pas être fécondés ! On fait donc en général la chasse aux plants mâles et on en retrouve du coup très peu dans la nature.

Etant une liane, le houblon grandit en s’accrochant à un câble et produit des ramifications tant qu’on lui fournit les supports nécessaires. La plante peut croitre de 4 à 6 m en 3 mois, soit 5 à 10 cm / jour.

Du fait de son exigence en photopériode pour la floraison, le houblon ne pousse qu’à certaines latitudes : entre le 35e et le 55e parallèle.

Démonstration de plantation du houblon:

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La recherche de la qualité pousse à vouloir aller plus loin dans les investissements techniques. Outre la micromalterie, les projets de développement envisagent l’installation d’un laboratoire qui permettrait :

  • De développer des matières premières, comme la fabrication de sucre à partir de l’orge cultivé. Un pas en plus vers le 100% local !
  • De tester des hybridations de levures et développer ses propres cultures, pour encore plus de maîtrise de la recette.

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Leur objectif d’ici 2020 est de proposer une bière 100% issue de la ferme et ses alentours !

Une filière à taille humaine

L’orge brassicole transite directement du producteur à la malterie. Aucun grain n’est stocké à la brasserie. Le cahier des charges du malt est cependant dicté par le brasseur, puisque c’est lui qui achète le lot. Cela permet d’accepter une certaine variabilité (qui sera compensée par des adaptations de la recette du brassin) et ainsi garantir à l’agriculteur la vente de son orge. Le risque de déclassement pour raisons sanitaires reste cependant évidemment présent.

La brasserie est installée dans une pièce de 100 m² (le terme de microbrasserie prend tout son sens !) et on y retrouve les cuves et fermenteurs nécessaires au brassage.

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Trois cuves sont installées :

  • Une pour chauffer l’eau.
  • Une cuve d’empattage où l’on mélange le malt à l’eau : c’est le brassage à proprement dit, où l’amidon est transformé en sucres fermentescibles. On obtient alors une sorte de jus sucré.
  • Une cuve d’ébullition, où le « jus » est mélangé au houblon.

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Badjawe = malt pilsen à 25 kg/HL

Nigauds = malt torréfié à 32 kg/HL

Malterie Dingemans : 25 à 30 T d’orge soit 20 à 25 T de malt

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Des échangeurs à plaque permettent ensuite le refroidissement du « jus », qui est ensuite transféré vers les fermenteurs (fermentation, dite primaire, pendant 2 semaines) où l’alcool commence à se créer. Les grands fermenteurs au fond de la salle sont ceux de garde, où le brassin, encore alors plat, descendra lentement en température jusqu’à atteindre les 3-4 °c. Une filtration gravitationnelle naturelle permet à ce stade l’élimination des levures mortes. Après l’ajout d’un peu de sucre (BIO !!!), la bière passe à sa deuxième fermentation, qui se fera en bouteilles et créera le pétillant de la bière.

Après 2 à 3 semaines à 4°c, vient la mise en bouteille. Elle se fait de manière « semi-manuelle », comme nous disent nos hôtes, puisque le remplissage, l’encapsulage et l’étiquetage ne se font qu’une bouteille à la fois. Tout comme l’entretien de la culture de houblon, cette étape requiert la participation volontaire de l’équipe, toujours dans l’esprit coopératif (1 journée de travail à 2-3 personnes).

On laisse alors la bière refermenter en bouteille pendant 3 semaines en chambres chaude. La chaleur produite pour chauffer la pièce provient des moteurs du groupe de refroidissement des fermenteurs. Ainsi, aucune électricité n’est utilisée pendant cette étape.

Grand fermenteur de garde               |           Les cuves de chauffe, d’empattage et d’ébullition

 

Question citoyenne : « pourquoi un tel retour aux microbrasseries depuis quelques années ? »

Stany nous explique que le mouvement des microbrasseries nous vient des USA où leur nombre a explosé ces dernières décennies. Couplé à un retour des citoyens vers une conscience de consommation qui les pousse à favoriser l’artisanat et les circuits-courts, c’est devenu un phénomène de mode. Au grand bonheur des fanas de bons produits et des spécialistes de la bière !

 

Bien plus qu’une simple coopérative

La BCL se revendique fièrement coopérative à finalité sociale. Et ce ne sont pas des mots en l’air ! Se fournir localement, oui, mais aussi :

Rapport2A un prix juste pour le producteur.

 

Avec des produits 100% BIO.

 

En valorisant le savoir-faire d’une bière de terroir.

 

 

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Rapport———————————————————————————————————————————————————————————–

Nos hôtes nous le font bien ressentir : être une coopérative c’est essentiel pour eux. C’est une manière de plus de renforcer le circuit-court. Les 256 coopérateurs sont majoritairement de la région. En plus d’avoir leur mot à dire sur certains aspects de la brasserie (le nom de la Badjawe a par exemple été voté en assemblée), ils profitent de quelques avantages. Mais surtout, ils participent à une réappropriation de l’économie locale. La Badjawe et la Nigauds, les deux bières actuellement proposées, peuvent d’ailleurs être achetées en Val’heureux, la monnaie liégeoise locale.

« Je suis un des fondateurs de la BCL, avec Michel, Stany, Raphaël… et les 252 autres coopérateurs ! » Frédéric Muratori – Co-fondateur de la BCL

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