Elevage, abattage et bien-être animal

Ce 8 décembre au Domaine de Mozet, Nature & Progrès animait une réflexion sur l’actualité agricole 2017, notamment en ce qui concerne l’élevage et l’abattage. En effet, l’année fut riche en événements largement médiatisés : lancement des 40 Jours sans viande en Wallonie, scandales à l’abattoir de Tielt et à Izegem, débats autour de l’abattage sans étourdissement… Le questionnement autour de l’élevage et de la consommation de viande est au cœur de notre société. En tant qu’outils de transformation, les abattoirs n’attirent pas la sympathie comme d’autres structures telles que les moulins, les fromageries ou les siroperies. Pourtant, ces lieux d’abattage sont cruciaux pour le maintien et le développement de la filière viande, particulièrement en circuits courts.


Préoccupations environnementales

La consommation de viande affecterait notre environnement, d’après la campagne des « 40 jours sans viande » lancée du 1er mars au 15 avril 2017 en Wallonie. Plusieurs facettes sont régulièrement débattues dans les réflexions sur la consommation de viande : la production de méthane par les ruminants, la concurrence de l’alimentation animale à l’alimentation humaine, l’importation de soja issu d’Amérique, contribuant à la déforestation, et enfin, la consommation en eau des animaux élevés. Afin d’évaluer de manière objective les effets de l’élevage sur l’environnement, il faut également prendre en compte les bienfaits de l’élevage : maintien et entretien des prairies permanentes par les ruminants (et de leurs nombreux avantages : puits de carbone, préservation de la biodiversité animale et végétale de ces milieux, rôle dans le cycle de l’eau, préservation du sol…), valorisation de l’herbe dans les terres impropres à la culture (tourbières, fagnes, prairies en pente ou à roche affleurant…) et production d’engrais organiques indispensables à la culture. Ce dernier point est important, en effet, l’agriculture biologique a pour premier pilier de nourrir le sol avec des engrais naturels, majoritairement d’origine animale comme les fumiers compostés. C’est pour cette raison que la ferme biologique modèle est une ferme autonome en polyculture élevage, où le sol nourrit les plantes, où les plantes nourrissent les humains et les animaux, et où les animaux nourrissent, à leur tour, le sol. Des producteurs spécialisés en grandes cultures sont d’ailleurs déjà en manque de solutions pour nourrir leur sol.

Réduire son impact sur l’environnement peut se faire par un raisonnement de sa consommation de viande en quantité mais surtout en qualité par un meilleur choix de la viande en question. Les élevages d’animaux herbivores basés sur l’herbe remportent la palme de l’élevage à faible impact environnemental, voire à impact positif sur l’environnement ! Par ailleurs, si les fruits et légumes ont leurs saisons, certaines viandes ont la leur aussi. Un animal nourri au pâturage aura un impact écologique plus faible qu’un animal nourri à l’étable, même avec du foin. Acheter de la viande d’agneau à Pâques n’a aucun sens ! La plupart des races ovines ont gardé un cycle biologique en lien avec la saison et mettent bas au début du printemps, ce qui implique que la viande d’agneau d’herbage est disponible en été et en automne. L’agneau pascal est la plupart du temps néo-zélandais !

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Elevage de moutons de race Noir du Velay à la ferme bio des Crutins à Sugny (Bouillon). L’élevage des ovins se fait en pâturage quasiment toute l’année, tant que les conditions le permettent. Leur nourriture est donc essentiellement basée sur l’herbe des vertes prairies ardennaises.


Préoccupations en matière de bien-être animal

Les débats autour de la consommation de viande prennent une toute autre importance lorsqu’il s’agit d’aborder la question du bien-être animal. En effet, les vidéos diffusées par différents mouvements mettent en évidence des dérives dans la manipulation et la mise à mort des animaux dans certains abattoirs. Si ces vidéos concernaient essentiellement la France depuis 2015, deux abattoirs flamands (Tielt et Izegem) ont fait l’objet de dénonciations en 2017, images à l’appui. Les quelques minutes de méfaits extraits de plusieurs dizaines d’heures d’enregistrement ont ébranlé la confiance du consommateur, mettant en doute la qualité du travail des abattoirs, ces boites noires dont on ne connait plus aujourd’hui le fonctionnement ni les réalités.

Lors de son colloque du 8 décembre, Nature & Progrès a invité deux spécialistes de la question du bien-être animal. Elisabeth Bernard est coordinatrice de l’Unité du Bien-Être Animal de la Région wallonne. Bruno Cardinal fait partie de la Direction de la Qualité de la Région wallonne, qui émet des avis sur la législation relative au bien-être animal et délivre les agréments.


Comment le bien-être animal est-il contrôle en Wallonie ?

Deux structures sont compétentes en matière de bien-être animal en Wallonie : la police et les agents constatateurs communaux, et l’Unité du Bien-Être Animal (UBEA) de la Région wallonne. Leur travail est réalisé de façon complémentaire : la police informe l’UBEA des cas où une intervention est nécessaire, tandis que l’UBEA confie ponctuellement à la police la mission de vérifier certains cas sur leur zone de travail. L’AFSCA est un troisième acteur du contrôle du bien-être animal mais n’est pas compétent pour prendre des mesures en cas de non-respect de la législation. Grâce à un protocole liant l’AFSCA aux régions, ils communiquent à l’UBEA leurs observations lors des contrôles chez les opérateurs. Le plan de contrôle annuel de l’AFSCA couvre 10 % des éleveurs agricoles professionnels par an.

Au sein du Département de la Police et des Contrôles, l’Unité du Bien-Être Animal (UBEA) a pour mission d’effectuer le contrôle du bien-être animal dans toutes les structures détenant ou manipulant des animaux : particuliers, éleveurs, transporteurs, abattoirs, centres de recherches, parcs animaliers… Depuis la régionalisation de la compétence en 2015, l’équipe s’est renforcée, passant de 7 à actuellement 17 agents dont 13 personnes de terrain, soit des vétérinaires et des contrôleurs.

L’UBEA travaille sur base de plaintes non anonymes, des informations issues d’autres services (police, AFSCA…) et de contrôles planifiés non annoncés dans différents établissements agréés (abattoirs, parcs animaliers, laboratoires, marchés aux bestiaux…). Ces derniers ont lieu au minimum une fois par an pour les abattoirs. Lors de l’arrivée d’une plainte ou d’une information, un tri est réalisé afin de juger de la pertinence et de l’importance du cas afin de cibler celles nécessitant un contrôle sur place.

En 2017, l’UBEA a ouvert environ 2.000 dossiers de plaintes et demandes d’autres services et 1.000 autres dossiers. La plupart des dossiers concernent des particuliers (chiens, chats, chevaux…). En 2017, 300 plaintes portaient sur le secteur agricole et près de 300 informations sont parvenues via la police et l’AFSCA.

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La majorité des plaintes de particuliers reçues par l’UBEA pour le secteur agricole sont liées à des animaux restant en prairie en hiver. Notons que les animaux d’élevage se portent parfois mieux dans la neige que dans l’étable !


Et dans les lieux d’abattage ?

Pour les abattoirs, outre le contrôle annuel inopiné des structures par les agents de l’UBEA, une surveillance du bien-être animal est assurée chaque jour d’abattage par le vétérinaire chargé de mission. Ce dernier réalise les examens ante-mortem, visant à vérifier que les animaux sont en bonne santé avant l’abattage. Ils vérifient en même temps le bien-être de l’animal jusqu’au moment de l’abattage. Par ailleurs, le vétérinaire chargé de mission effectue des contrôles supplémentaires. Deux fois par mois, il réalise un rapport sur base d’une check-list du respect des conditions d’abattage et des opérations connexes, et quotidiennement, il réalise le contrôle d’un transporteur (conformité, agrément, chargement, bien-être animal…). Toute infraction est transmise à l’UBEA. Les abattoirs de forte capacité (plus de 1.000 UGB/an) sont également dotés d’un responsable du bien-être animal qui a en charge le contrôle du bien-être et la prise de mesures correctives, l’établissement de procédures de bonnes pratiques et la formation continuée du personnel. Notons également que toute personne amenée à manipuler du bétail dans les abattoirs ou lors du transport doit obtenir un certificat d’aptitude relatif au bien-être animal.


Contrôle du bien-être animal en abattoirs d’ongulés, check-list de l’AFSCA

Déchargement des animaux et espaces réservés à l’ante-mortem : les points de contrôle sont relatifs à l’infrastructure (éviter les blessures aux animaux, protection contre les conditions climatiques défavorables, possibilités de pourvoir une litière aux animaux, espace disponible pour chaque animal, sécurité, présence d’une étable d’isolement si nécessaire, aménagement des couloirs) et à la manipulation (déchargement rapide après l’arrivée du transporteur et réduction du temps d’attente avant l’abattage).

Contrôle et soins des animaux : les points de contrôle portent sur l’évitement, autant que possible, des douleurs, tensions et souffrances des animaux. Les animaux fragiles (animaux non sevrés, vaches laitières) passent en premier sur la chaine d’abattage. Lorsque le temps d’attente est trop long, les animaux reçoivent nourriture et eau potable.

Etourdissement et saignée : vérification du moyen d’étourdissement (liste autorisée) et de son efficacité (inconscience totale et insensibilité maintenues jusqu’à la mort de l’animal).

Qualification du personnel.

Infos complètes sur http://www.favv-afsca.fgov.be/checklists-fr/secteuranimal.asp (PRI 3039)


Un renforcement des mesures

Suite aux scandales de 2017, la Flandre a pris des mesures sur base d’une charte signée entre la Febev (Fédération Belge de la Viande) et le Ministre Ben Weyts compétent en matière de bien-être animal. Il y est prévu de mieux contrôler les pratiques en abattoirs notamment par la mise en place de caméras, l’organisation de formations sur le bien-être animal et la réalisation d’un audit de tous les abattoirs. La Wallonie a également réagi par la signature, le 20 décembre 2017, d’une charte entre la Febev (représentant 10 abattoirs en Wallonie et plus de 93 % des abattages) et le Ministre wallon du Bien-être animal, Carlo Di Antonio. Cette charte comprend 5 mesures : l’installation d’une vidéosurveillance dans les abattoirs dont les enregistrement seront rendus disponibles pour l’UBEA et le responsable bien-être animal de l’abattoir, le renforcement de la fonction du responsable du Bien-être animal dans les abattoirs (fonction d’encadrement et de rapportage), la réalisation d’un audit du secteur en 2018 permettant de cibler les améliorations structurelles permettant un gain de bien-être animal au sein des abattoirs, le renforcement des formations au sein des abattoirs, et enfin, assurer une transparence entre les acteurs (autocontrôle, sanctions). En 2018, le Ministre Di Antonio proposera au Gouvernement wallon l’adoption d’un arrêté visant à compléter le dispositif règlementaire sur la mise à mort des animaux. Cette législation s’appliquera à l’ensemble des 21 abattoirs wallons. Les actions seront similaires à celles de la charte.

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Outils d’étourdissement pour les porcs et ovins à l’abattoir communal de Virton.


Et en bio ?

L’agriculture biologique a intégré dans ses cahiers des charges des mesures visant à renforcer le bien-être des animaux d’élevage. La densité d’animaux par bâtiment est plafonnée, et ces derniers ont un accès permanent à des pâturages ou à un parcours extérieur. A part dans les petites structures, les animaux ne peuvent se trouver à l’attache dans les étables en hiver. Des règles sont aussi prévues pour assurer une litière confortable pour les animaux.

En ce qui concerne l’abattage, il n’existe pas de différence entre bio et non-bio, étant donné que le bien-être animal doit être optimisé pour tous les animaux lors de cette période délicate de leur vie. La certification biologique d’un abattoir garantit une séparation dans le temps et/ou dans l’espace des animaux bio et conventionnels. Néanmoins, il faut noter que les animaux élevés en bio, notamment les bovins, correspondent parfois peu aux standards des abattoirs existants. Par exemple, les couloirs d’abattage sont peu adaptés aux animaux à longues cornes de type Highland ou Salers, animaux par ailleurs beaucoup plus sauvages et moins manipulables que les Blanc Bleu Belge. Le secteur bio compte également davantage de petits élevages en vente directe, soit au sein d’une boucherie à la ferme, soit sous forme de colis de viande. Cette particularité nécessite la présence de lieux d’abattage de proximité, ce qui est à contre-courant par rapport à la standardisation et à l’industrialisation du secteur viande, accompagnée de la rationalisation des lieux d’abattage.


L’abattage à la ferme au secours des filières viande en circuits courts

Nature & Progrès travaille depuis plusieurs années sur l’abattage à la ferme, dont l’un des principaux avantages est d’optimiser le bien-être animal en évitant les stress du transport, du déchargement dans un lieu inconnu, auprès d’animaux inconnus et la manipulation par des personnes inconnues. Il s’agirait d’abattre les animaux « à la maison », au sein de camions d’abattage se déplaçant de ferme en ferme, ou de les abattre en prairie selon un protocole bien défini. Si l’abattage à la ferme est un vieux fantasme de nombreux éleveurs et consommateurs, il est bien possible que ce rêve devienne réalité. En effet, suite aux rencontres et recherches de Nature & Progrès, le dossier progresse et se mue en un véritable mouvement associant éleveurs, consommateurs, chercheurs, etc. Maintenant que la roue est lancée, un groupe multi-acteurs est en cours de création afin de poursuivre les travaux et les contacts avec les structures incontournables pour mettre le tir en prairie ou le camion d’abattage sur pieds (éleveurs, AFSCA, administrations…). Vous souhaitez en faire partie ? Adressez-vous à Sylvie (sylvie.laspina@natpro.be) qui vous mettra en contact.


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