Ils sont éleveurs bio et ont choisi d’autres races

Des races hyperspécialisées bien ancrées

Alors qu’il y a cinquante ans, les races locales à caractère mixte dominaient largement dans nos campagnes, le cheptel bovin belge compte aujourd’hui 85 % de races hyperspécialisées : Holstein et Blanc Bleu Belge (BBB). Ces races ont été encouragées, notamment, par la politique des quotas en secteur laitier. Pour une quantité de lait fixe, les éleveurs ont tenté de réduire au maximum les bêtes présentes à l’étable en choisissant une race haute productive. Comme cette dernière produit très peu de viande, l’élevage allaitant s’est développé avec une race bien de chez nous, la BBB, où le type culard prédomine. La sélection poussée sur ces deux races a mené à des bêtes souvent déséquilibrées, parfois victimes de tares, de consanguinité, et surtout de dysfonctionnements affectant la reproduction (perte de fertilité, césarienne obligatoire chez la BBB) et le fonctionnement corporel général des bovins (boiteries, mammites…). La sélection évolue actuellement en vue de pallier ces dérives. Les races hyperspécialisées sont également très exigeantes au niveau de l’alimentation, nécessitant la plupart du temps l’apport de grandes quantités de concentrés pour la valorisation optimale de leurs performances.

Les éleveurs bio, pionniers des races alternatives

Les éleveurs bio optent pour un autre cheval de bataille, ou, devrait-on dire, pour une autre « vache de guerre 1». Le mode de production bio se dirige en effet vers des élevages économiques et autonomes, privilégiant des races plus rustiques. Les pionniers du bio ont choisi des races se distinguant par la qualité de leurs productions : composition du lait et notamment aptitude à la transformation fromagère, persillé de la viande contrastant avec le BBB tendre et pauvre en graisse, ayant généralement moins de goût. Avant le développement des filières biologiques, la valorisation du lait bio et de la viande bio se faisait le plus souvent à la ferme, avec un lien direct vers le consommateur. Des groupements sont ensuite nés dans les campagnes pour faciliter une valorisation en commun : coopératives fromagères ou pour la valorisation de la viande des races alternatives. Cette maîtrise de la valorisation des produits en bio est aujourd’hui vue comme un exemple à suivre dans l’ensemble du secteur agricole, pour améliorer le prix payé au producteur… à condition que les produits soient réellement de qualité différenciée !

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André a abandonné la race BBB pour l’Aberdeen Angus. Cette petite vache noire sans cornes l’a séduit pour sa facilité d’élevage et sa rusticité, mais aussi en raison de la saveur de sa viande persillée, fort appréciée des amateurs de goût. Visite du Domaine Biovallée en mai 2017.

Sortir d’un système cadenassé

Les éleveurs bio ont dû sortir d’un système bien ancré, notamment dans la filière viande. Un complexe s’est formé autour de la race BBB : les vétérinaires et les bouchers se sont spécialisés dans cette race, si bien que les personnes compétentes pour soigner ou découper la viande d’autres races bovines manquaient cruellement. Les structures gérant la génétique ne proposaient pas ou peu de reproducteurs de races alternatives : les éleveurs bio descendaient (et descendent souvent encore) en France pour choisir leurs taureaux. Les foires et concours d’éleveurs BBB tirent les standards vers le type culard, permettant aux « meilleurs » élevages de se faire connaître et de vendre des bêtes pour la reproduction en et hors Belgique. De nombreux éleveurs à la recherche d’une autre race bloquent sur la conformation, qui leur semble mauvaise par rapport à leurs habitudes. Aujourd’hui, le système s’ouvre peu à peu vers les races alternatives étant donné le développement du bio et son potentiel croissant.

Une vache autonome et économe

Les éleveurs bio recherchent autonomie et économie. Ils se dirigent vers des animaux « tout terrain » s’adaptant facilement à différentes conditions d’élevage : climat, sol, topographie, végétation… Ils doivent être résistants aux maladies et posséder de bonnes aptitudes fonctionnelles : fertilité, qualités maternelles, vêlage facile, longévité…  En d’autres mots, des vaches « rustiques » !

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Chez la Salers, la vache vêle sans problèmes : les éleveurs sont rarement présents lors de la mise-bas. Cette situation contraste avec l’élevage de BBB où la césarienne obligatoire rend difficile la gestion des naissances. Les éleveurs se relèvent la nuit pour surveiller les bêtes et prêter main forte au vétérinaire lors de l’intervention. Didier Herin a abandonné la BBB pour la Salers en vue de libérer du temps pour sa famille et produire une viande de qualité différenciée. Visite de la ferme BioHerin à Nassogne en juin 2017.

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Les Montbéliardes de la ferme Counasse présentent une longévité remarquable. Les quatre doyennes, du haut de leurs douze ans, sont en parfaite santé (sur la photo, l’une d’elles baptisée Violine). Elles produisent toujours des quantités importantes d’un lait riche, particulièrement adapté à la transformation fromagère. Sachant qu’il faut deux ans pour qu’un veau produise du lait, la longévité des vaches est économiquement importante. Elle permet aussi d’élever moins de jeunes bêtes pour le renouvellement du troupeau, et donc de les valoriser pour l’élevage (vente aux autres éleveurs) ou pour la viande. En bio, on privilégie des vaches qui tiennent la longueur ! Visite de la ferme Counasse à Stoumont en juin 2017.

Une vache valorisant les aliments produits sur la ferme

Bio rime avec autonomie alimentaire : les éleveurs limitent au maximum les aliments achetés, comptant sur les fourrages et cultures de la ferme pour nourrir le bétail. La quantité et qualité des fourrages distribués sont fonction des conditions stationnelles (qualité du sol, climat, terres arables), du fonctionnement de la ferme (organisation du pâturage, mode de récolte des fourrages, nombre de vaches présentes) et de la saison. La race élevée sur la ferme sera fonction de la possibilité de produire un aliment de haute qualité, sachant que si la gestion de la ferme peut être améliorée, d’autres paramètres comme les conditions pédoclimatiques sont relativement immuables.

C’est en élevage laitier que la qualité des fourrages a le plus d’impacts. En Suisse, le Fibl 2 classe les races laitières en fonction du potentiel de la ferme : la plus productive pourra se diriger vers la Holstein, la Montbéliarde, la Jersey et la Brune suisse. La moins productive ira vers la Simmental ou la Brune originale. Ces dernières produiront moins de lait mais seront mieux adaptées aux conditions stationnelles, nécessitant moins de compléments et de soins vétérinaires.

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En élevage allaitant, les éleveurs se dirigent vers des races plus faciles à engraisser à l’herbe en apportant un minimum de concentrés. En Ardenne, la race Limousine est largement utilisée comme à la Cense de Bergifa à Lierneux. Il est néanmoins difficile de comparer le potentiel des différentes races pour un engraissement à l’herbe car il dépend de nombreux facteurs : capacité d’ingestion, précocité et aptitudes au pâturage notamment au niveau de la qualité des aplombs 3. Visite de la Cense de Bergifa en juin 2017.

Outre le facteur régional, les éleveurs doivent également jouer avec une variation saisonnière de la qualité des fourrages : l’herbe est très riche, les foins et ensilages le sont moins. Les animaux doivent supporter les variations de condition du milieu et posséder une certaine élasticité de leur métabolisme. Pour aider les animaux à s’accommoder de la variation de la qualité de l’alimentation, les éleveurs bio groupent parfois les vêlages au printemps pour aligner les besoins des vaches aux apports de l’herbe. Comme chez les herbivores sauvages ! Toutes les races bovines ne se prêtent pourtant pas facilement à l’exercice, notamment celles qui ont un grand potentiel laitier.

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La Bleue mixte peut être assez maigre au printemps mais retrouver une bonne corpulence en été. Par contre la Holstein supporte mal la perte de masse corporelle qui touche rapidement aux fonctions vitales de la vache. Visite de la ferme de Daniel Boddez en mai 2017.

Une vache moins spécialisée, plus « mixte »

Et si l’avenir était dans des races mixtes, valorisant à la fois le lait et la viande ? Plus rustiques, elles semblent être les candidates idéales pour l’élevage de demain. Bleue mixte, Rouge Pie de l’Est sont nos races locales, mais il existe aussi, entre autres, la Montbéliarde et la Salers. La première tend à se spécialiser dans le lait mais en Belgique, les éleveurs préfèrent les vaches présentant une bonne conformation. La seconde est connue pour sa production de viande mais dans sa région d’origine, en Auvergne, quelques éleveurs valorisent ses quelques 2.000 à 3.000 litres de lait par lactation (ce qui n’est rien à côté des 9.000 litres de la Holstein !) en fromages AOC et AOP à haute valeur ajoutée.

Donnez-nous votre avis ! Participez à notre sondage sur les races mixtes : quel est leur potentiel en Wallonie et quels sont les freins et les opportunités de leur redéploiement ?

Le vendredi 1er septembre au Salon Valériane, nous proposerons une conférence suivie d’une table-ronde sur les potentialités des races mixtes et les voies de valorisation de leurs produits. Les appellations d’origine contrôlée et les labels de qualité différenciée sont-ils des outils intéressants pour remettre nos races mixtes locales sur le devant de la scène ?

Faire évoluer la sélection bovine

L’agriculture biologique est pionnière dans la mise en avant des caractéristiques corporelles des animaux (rusticité, santé, longévité…) dans les programmes de sélection. Aujourd’hui, la sélection bovine prend en compte la productivité mais aussi la santé, la longévité, les aplombs, etc. Les critères de productivité mériteraient néanmoins encore de faire l’objet de recherches. Si la quantité de lait et la teneur en matières grasses et protéines font l’essentiel des critères qualitatifs, il serait intéressant d’aller plus loin dans l’évaluation de l’aptitude à la transformation fromagère du lait. On dispose aujourd’hui d’indicateurs propres à l’animal qui influencent fortement l’aptitude et le rendement fromager. La sélection devrait également mieux intégrer l’efficacité alimentaire des animaux sur des rations à base de fourrages grossiers ou de qualité variable.

La diversité génétique, alliée d’un élevage résilient

Les visite de fermes nous l’ont confirmé : parce qu’il n’existe pas deux fermes identiques, il n’existe pas une vache idéale mais une panoplie d’animaux capables de s’adapter à des conditions fluctuantes. Le saviez-vous ? Nos races d’élevage possèdent une diversité génétique bien plus importante que les animaux sauvages. Cela s’explique par le laps de temps accumulé depuis la domestication qui a permis une évolution importante, l’expansion démographique et territoriale permise par l’homme avec l’adaptation aux différents terroirs, la protection par l’homme d’individus présentant un type nouveau issu de mutations (et pas forcément viable dans la nature) et l’encouragement au succès reproducteur de ces individus et enfin, la diversité des modes d’utilisation des animaux et donc de leurs aptitudes recherchées.

Ce patrimoine génétique est en déclin. La sélection bovine se concentre sur les races hyperspécialisées ou montrant le meilleur potentiel dans des conditions données. De nombreuses races locales sont tombées dans l’oubli, ne profitant plus de suivi génétique ni d’efforts d’amélioration, ce qui contribue à creuser l’écart économique et à réduire leur attrait, d’autant que la sélection génétique connait un rythme toujours plus rapide. Après la monte naturelle, l’insémination artificielle, l’implantation d’embryons, nous sommes à l’heure de la génomique poussée par le développement de la biologie moléculaire. Les extrêmes climatiques croissants nous le rappellent quotidiennement : l’avenir de la production bovine dépendra de la capacité des animaux à s’adapter aux conditions fluctuantes. Des efforts doivent être mis en place dès aujourd’hui pour la sauvegarde de la diversité génétique au sein de nos races bovines.

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« Dommage qu’on ne voie plus la vieille rouge d’ici ». Des mots qui ont intrigué Mélanie Malzahn, employée à la Fondation Rurale de Wallonie. Une petite recherche lui apprend qu’il s’agit d’une race disparue qui avait pourtant tout pour plaire : locale, rustique et mixte, produisant du lait et de la viande de qualité, adaptée au climat et aux pâturages de Haute Ardenne. Elle parvient à retrouver un millier d’individus, dispersés dans une cinquantaine de fermes, résistant encore et toujours à l’envahisseur. Après de longues années de travail, la Rouge Pie de l’Est est officiellement de retour et bénéficie d’un réseau de sauvegarde. Mélanie, amoureuse de la race, a même lancé son propre élevage à Malmedy. Visite de la ferme de Mélanie Malzahn en juin 2017.


Notes

  1. Petit clin d’œil au documentaire « Vache de guerre » des Liberterres interviewant André Grevisse au sujet de l’agriculture biologique et de l’élevage bovin.
  2. Fiche AGRIDEA 11.3.11-18 « Sélection vaches laitières » éditée par le Fibl
  3. Lire à ce sujet l’intervention d’Arnaud Farinelle de Fourrages Mieux sur l’engraissement à l’herbe lors de la visite de la Cense de Bergifa. 

 

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