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Samedi 6 mai 2017 à Ciney, nous organisions une rencontre à l’Association wallonne de l’élevage en vue de discuter des deux principales races bovines de Belgique : la Holstein et la Blanc Bleu Belge. Répondent-elles aux nouveaux enjeux de notre agriculture, c’est à dire au nouveau contexte économique (mondialisation des échanges et diminution du soutien européen) et aux attentes sociétales (environnement, bien-être animal…) ? Compte-rendu de cette journée riche en échanges.
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Introduction par Sylvie La Spina, Nature & Progrès
Présentation de Nature & Progrès et du projet « Echangeons sur notre agriculture » dont l’objectif est de rassembler agriculteurs et consommateurs autour de problématiques agricoles. Le sujet 2017 porte sur les races en élevage bovin et avicole. Sont-elles prêtes à relever les nouveaux défis de notre agriculture ? Evolution de la politique agricole menant vers une mondialisation des marchés, réduction des aides à la production, recherche de rentabilité et d’autonomie au niveau des fermes, croissance des attentes sociétales en matières d’environnement et de bien-être animal… L’intérêt des races mixtes dans un contexte où la sélection bovine s’est concentrée sur une hyperspécialisation des races est également interrogé. Actuellement, 85 % des bovins élevés dans la filière viande sont des BBB, 85 % des bovins en filière lait sont des Holstein. Quel potentiel offrent ces races pour l’avenir ?
Documentaire « Et l’Homme créa la vache » (ARTE)
Le documentaire retrace l’évolution des bovins depuis les aurochs il y a 10.000 ans jusqu’aux races laitières spécialisées actuelles. L’histoire de la sélection bovine est retracée, depuis la domestication correspondant à la maitrise des accouplements, en passant par l’insémination artificielle (star system) et finalement le génie génétique.
Présentation par Patrick Mayeres (AWE – Association Wallonne de l’Elevage) de la sélection bovine aujourd’hui en Wallonie
Mr Mayeres explique la diversification des critères de sélection depuis 10 à 15 ans. On ne sélectionne plus uniquement pour les performances en production de lait et de viande mais aussi pour des critères morphologiques, de longévité, de santé du pis, de fertilité, de fécondité, de facilité de vêlage, de vitalité, d’aptitude à boire, de taux de mortalité, de résistance aux maladies, de capacité d’ingestion, d’efficacité alimentaire, de production de méthane. Les taureaux sont cotés selon ces différents paramètres, ce qui permet aux éleveurs de choisir le taureau le mieux adapté à leur troupeau et à leurs contraintes et objectifs spécifiques. Depuis quelques années, la sélection génomique est devenue une réalité et est assortie d’études des anomalies génétiques. L’identification des gènes récessifs menant à une anomalie génétique permet d’écarter les individus de la reproduction et mener à une meilleure élimination des tares. La sélection génomique permet de ne plus uniquement se baser sur des critères visibles sur l’animal mais aussi sur toutes les performances plus difficilement mesurables. Elle permet d’ouvrir la diversité génétique au sein des reproducteurs. Aujourd’hui, on arrive à une bonne gestion de la consanguinité qui plafonne à 4 à 4,5 % en BBB et en Holstein en Wallonie. Des outils informatisés permettent de suivre la généalogie des bovins et éviter les croisements présentant de la consanguinité. Afin de conserver une diversité génétique importante pour toute évolution de la race, une cryobanque a été mise en place depuis des décennies, permettant de conserver les gènes de nombreuses lignées. On ne sait effectivement pas de quoi nous aurons besoin dans les prochaines décennies. Selon Mr Mayeres, BBB et Holstein sont en constante évolution et présentent un bon potentiel pour répondre aux enjeux de demain.
Intervention de René Poismans, directeur général du Centre de Recherches Agronomiques wallon
L’évolution de la politique agricole vers une libéralisation des échanges demande à nos fermes de développer davantage de résilience, capacité à surmonter différents aléas, notamment économiques. Les prix d’achat des intrants (aliments, etc.) ainsi que les prix de vente des produits animaux (lait, viande) fluctuent de plus en plus en ampleur et en cycle en fonction des marchés mondiaux alors qu’auparavant, les filets de sécurité liés à la politique agricole commune atténuaient cette volatilité. Il est temps de reconsidérer la rentabilité et non la productivité, et donc de développer une réflexion non plus basée sur la quantité produite mais sur le bénéfice dégagé pour chaque unité produite. Ce bénéfice, cette marge, dépend de la structure de la ferme et de son mode de conduite. En particulier la part des coûts fixes (liée aux investissements) dans les coûts de production influe lourdement sur la résilience des exploitations. A l’heure actuelle, les lourds investissements consentis par les éleveurs suivant une approche essentiellement quantitative en vue de répondre aux promesses d’accroissement annoncé de la demande mondiale de lait pèsent lourd dans l’économie des fermes et limitent leur capacité à faire le gros dos lorsque les prix sont bas et les possibilités de réorientation pour les éleveurs endettés. L’autonomie alimentaire (feed) peut contribuer – avec la structure des coûts fixes – à la résilience. Elle permet de mieux maitriser les coûts variables de l’élément important qu’est l’alimentation. Cette autonomie peut être envisagée à trois niveaux : une autoproduction à l’échelle de la ferme, une collaboration, par exemple, entre fermes en grande culture et en élevage, et enfin, une autonomie à l’échelle régionale. Différents projets européens de recherche se penchent actuellement sur ces trois échelles d’autonomie pour les différents pays européens. Selon Mr Poismans, les consommateurs ignorent le plus souvent les réalités de l’élevage, il est nécessaire de les informer sur les contraintes de la production (économie, bien-être animal…) mais aussi de mieux former et informer les producteurs à communiquer avec le consommateur sur ces contraintes. Il faut enfin tenir compte de la diversité des fermes, des objectifs des producteurs et des desideratas des consommateurs car il existe actuellement une segmentation de marché. Enfin, il faut bien distinguer les souhaits exprimés par les citoyens et la disponibilité des consommateurs à payer ces services. Il faut trouver un équilibre entre les deux et informer les citoyens pour justifier auprès du consommateur la nécessité d’accepter un prix correspondant au coût réel d’un produit.
Intervention de Nicolas Gengler, généticien à ULg – Gembloux AgroBioTech
Il est important de trouver un juste compromis entre les attentes sociétales et les aspects économiques pour les éleveurs. Il est important de conscientiser les consommateurs à l’importance de cette réalité économique. La recherche agronomique et génétique a développé des outils permettant aux éleveurs de choisir leurs reproducteurs en fonction de leurs objectifs spécifiques. Le choix peut s’entreprendre en race pure, sur des croisements ou, dans des cas extrême ou ceci se révèle nécessaire, aussi aboutir à un changement de race (remplacement des animaux en place ou croisement d’absorption). Le problème du croisement est sa difficulté de gestion, p.ex. lié au fait que l’on obtient des individus présentant des gabarits différents. Mr Gengler insiste sur le fait que les races ne doivent pas être vues comme figées, elles évoluent constamment et, si la pression de sélection est élevée, très rapidement. Ainsi, la Holstein importée d’Amérique du Nord en 1966 n’est plus la même vache que la Holstein actuelle ! C’est aussi le cas pour la BBB viandeuse qui a fortement évolué depuis les années 1950 à partir d’animaux mixtes avec une vocation affichée laitière vers la race qu’on connait aujourd’hui. Et au premier quart du 20e siècle, les deux races étaient encore très proches dans leurs aspects physiques. En plus, afin de soutenir la sélection, une panoplie de caractéristiques est évaluée en Wallonie et disponible pour les éleveurs comme expliqué par Mr Mayeres. L’index synthétisant la qualité des reproducteurs Holstein donnée dans le documentaire existe aussi sous une forme légèrement différente en Belgique. Ces formules combinent les caractéristiques importantes en les pondérant en fonction des choix du secteur de l’élevage et des attentes sociétales. Ainsi, des pays nordiques comme la Suède ont favorisé très tôt la bonne santé mammaire dans la sélection. Ceci explique, en poursuivant cet exemple, le fait que la race Rouge suédoise présente une santé du pis supérieur à d’autres races.
Intervention de Laetitia Van Roos, chargée de mission « bovins viande » au Collège des producteurs (Socopro)
Les attentes sociétales sont variées : environnement, bien-être animal, nouveaux modes de consommation… Il faut cependant veiller à un juste équilibre entre attentes sociétales et pratiques d’élevage. Il est important également que l’évaluation soit multicritère et tienne compte des services rendus par l’élevage. Les premières méthodes de calcul de l’empreinte eau conduisaient à recommander des élevages hors sol, ce qui est loin des attentes des consommateurs et de l’agriculture familiale telle qu’elle se pratique en Wallonie. Concernant l’émission des gaz à effets de serre, des études montrent qu’on peut les réduire en diminuant la part de fourrages dans la ration des bovins. Faut-il, pour cette raison, privilégier une alimentation plus riche en concentrés au détriment de l’herbe et du foin ? Une autre recommandation est d’augmenter la précocité des vêlages. En pratique, on constate cependant que cela mène à un taux de vêlages difficiles ou de césariennes plus élevé. Enfin, éliminer l’élevage, c’est conduire au retournement des prairies et perdre ainsi ce précieux puits de carbone. Il faut donc trouver un juste milieu entre toutes ces attentes. Le consommateur est en recherche aussi de nouveautés, de diversité et a fortement changé de mode de consommation. Le Blanc Bleu est critiqué aujourd’hui chez nous, sans doute parce qu’il représente une certaine norme mais en France, il est vanté pour son extrême tendreté et outre atlantique, il est commercialisé comme viande « santé ». On le retrouve également dans presque tous les croisements. De nombreux producteurs cherchent aujourd’hui de nouvelles voies de diversification et toujours plus d’autonomie mais le parcours peut être compliqué entre la mise en œuvre d’une nouvelle production (investissement dans du matériel, sélection d’une race) et sa commercialisation à une juste rémunération.
Le Collège des producteurs a mis en place un site web d’information sur la viande et l’élevage afin de renforcer l’information aux consommateurs.
Cliquez sur l’image pour accéder au site.
Questions – débat avec le public
Le public a posé des questions aux intervenants présents.
Certaines questions portaient sur les possibilités d’étude prospective en vue d’anticiper les crises notamment liées aux changements de perspective économique. René Poismans fait part d’un projet de recherche prospective actuellement en cours au CRAW, avec des partenaires européens, en vue d’élaborer et ensuite évaluer différents scénarii d’avenir pour le secteur de l’élevage dans les 25-30 années. La recherche vise à remettre en question les modèles et à envisager tous les scénarii. Il existe un décalage de calendrier entre le monde politique et économique et le monde agricole. Cette inertie est notamment liée aux investissements dans les fermes (étables…) restreignant la souplesse du secteur. Selon Patrick Mayeres, une force de la BBB est de ne pas trop dépendre du marché mondial car elle est principalement écoulée en Belgique, dans un marché local.
Un participant note l’incohérence des consommateurs qui réduisent leur consommation de viande bovine par rapport aux autres viandes (monogastriques) dont les élevages sont beaucoup plus intensifs que les élevages bovins.
Un autre participant demande quelles sont les prospectives concernant un élément qui est aujourd’hui prévisible et indiscutable : les changements climatiques. En effet, si on peut difficilement prévoir les évolutions de marché et de politique, on est par contre conscients de la problématique des changements climatiques. Quelles sont les mesures envisagées pour adapter l’élevage à cet enjeu ? René Poismans fait part de la difficulté de mesurer l’émission de gaz à effets de serre par les bovins. Néanmoins, un projet international auquel est associé le CRA-w est en cours et a déjà permis d’évaluer l’émission individuelle de méthane par une vache laitière à partir d’une analyse par spectophotométrie en infrarouge du lait. Cette mesure est couplée à l’analyse du génotype des animaux et il apparaît une corrélation entre les deux. Il est donc possible de sélectionner génétiquement des vaches laitières émettant moins de GES. La recherche est en train d’être élargie aux bovins ne produisant pas de lait.
Lunch
Visite de la Station d’élevage en BBB de l’AWE, site de Ciney
Des éleveurs confient leurs veaux BBB (ou Limousin, qui sont élevés de juillet à janvier) présentant le meilleur potentiel à la Station d’élevage (Centre de sélection) de l’AWE. Ils arrivent au Centre après leur sevrage, sont placés en quarantaine où ils subissent un examen vétérinaire et des tests sanguins à intervalles réguliers pour conforter l’absence de maladies. Passé cette première étape, qui dure environ un mois, ils peuvent intégrer l’étable de sélection. La croissance est évaluée par des mesures à intervalles réguliers. La quantité d’aliment ingérée quotidiennement par chaque taurillon est mesurée. L’aliment est conçu spécialement pour la Station d’élevage en vue de garantir la couverture des besoins nutritifs des animaux. Les meilleurs taureaux sont expertisés par des juges officiels, puis admis au Herd Book BBB (ou Limousin). Ils ont alors 13 mois. Un dépistage des maladies génétiques est alors réalisé. Les taureaux ayant répondu aux différents tests sont sélectionnés pour la vente publique qui a lieu environ tous les deux mois à Ciney, rassemblant les acheteurs belges et étrangers. Toutes ces mesures permettent à l’AWE d’offrir une garantie sanitaire et zootechnique sur l’animal.
Visite de l’élevage d’Herbuchenne en BBB
La famille Debonhome sélectionne des BBB depuis 4 générations (1928). L’élevage était alors basé sur la Bleue mixte. La traite a été arrêtée dans les années ’70 pour se concentrer sur la production de viande. Aujourd’hui, la ferme compte environ 165 bêtes dont 120 vaches. La plus âgée a 10 ans. Les vêlages sont répartis toute l’année. La saillie est assurée par taureaux issus du Centre de sélection BBB de Ciney. 80 % des veaux sont élevés au pis. L’intervalle de vêlage moyen est de 415 jours. La BBB est une race précoce : le premier vêlage est fréquent à 24 mois. Les éleveurs sélectionnent les bêtes sur les aptitudes fonctionnelles (rusticité, capacité d’allaitement, capacité d’ingestion, efficacité alimentaire) et le gabarit. L’élevage est en autonomie alimentaire à 90 % pour les bovins et poulets de chair (prairies, culture fourragères, céréales) : en élevage bovin, seul le concentré de finition est acheté à l’extérieur. Il contient du soja extrudé, des plaquettes de lin, de l’épeautre et du colza. Les bêtes sont également nourries avec de la pulpe des betteraves cultivées sur la ferme. Les taurillons sont vendus à 18-19 mois à un boucher qui les abat à Liège. Les réformes sont engraissées ou vendues sur le marché couvert.
Voir aussi : https://www.youtube.com/watch?v=vLfDR0mjvro
Participez à nos prochaines visites (jusqu’au 24 juin 2017) :
Commentaire d’un éleveur laissé sur notre mail : Bonjour, je viens de recevoir votre compte-rendu de la réunion de samedi sur le duo bbb/ holstein et je l’ai trouvé très intéressant. Je voudrais souligner que tout ce qu’on dit de mal sur ces deux races sont fondées ( diminution de la rusticité) mais comme un intervenant l’a bien dit pour le bbb, nous sommes pris entre le désir des consommateurs de voir dans les champs en été des animaux sains, rustiques, nourris à l’herbe, en hiver nourris avec des aliments bien de chez nous, ne recevant aucun antibiotique, aucune maltraitance et succombant de vieillesse ( en réponse aux abattages dans les abattoirs) et le choix de ce même consommateur pour une viande bon marché, tendre, gouteuse et maigre. Personnellement, à part le bon marché, je ne demande pas mieux de produire de cette viande là du moment que cela nous permette d’en vivre. Pour l’instant, dès que l’on sort des standards de commercialisation des grandes surfaces, les prix chutent. L’an passé, il fallait des vaches bbb, culardes à souhait, pesantes mais jeunes ( à propos , comment fait-on des veaux avec des vaches jeunes que l’on mène à l’abattoir), maintenant il faut des taureaux limousins bio. Et vous dites que les étrangers nous envient notre bbb. Personnellement, tous les jours, je me demande ce que je dois faire, changer de race, changer de métier, j’ai mal au cou de changer tout le temps mon regard de direction.
Merci pour cette journée d’information.