L’autonomie, un pari gagnant pour le climat et pour le revenu de la ferme ! La ferme Raucq, une réflexion à essaimer

Les préoccupations écologiques sont aujourd’hui à l’avant de la scène, de même que la nécessité d’obtenir un revenu juste de sa production laitière. L’autonomie est plus que jamais une voie d’avenir pour les éleveurs wallons. Nos terres agricoles sont d’une richesse souvent sous-estimée ! Un pâturage bien géré et la production de fourrages et céréales permettent de nourrir le troupeau avec un aliment de qualité, de manière économique et écologique. La ferme Raucq, si elle a ses caractéristiques propres, peut nous guider dans une démarche favorisant davantage d’autonomie.

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Le parcours de la famille Raucq

Situés dans la commune de Lens, au nord de Mons, Julien, Daniel et Monique Raucq mènent une production laitière – 400.000 litres de lait sur leur ferme de 46 hectares comprenant 57 vaches laitières de races Pie noire et « Kiwi » (croisement Pie noire x Jersey). Lors de la reprise de la ferme en 1979, Daniel et Monique se sont dirigés vers une intensification en optant pour une transition depuis les Bleues mixtes vers la Pie noire. Des cultures de betteraves sucrières et de céréales côtoyaient l’indispensable maïs ensilage tandis que la prairie permanente occupait seulement huit hectares. Le lait était intégralement livré à la laiterie. Dix ans plus tard, devant la lourdeur du travail et la constatation du faible revenu issu de la ferme, une réflexion sur l’autonomie commence grâce à la lecture des ouvrages de Soltner (1) et de Voisin (2) puis la rencontre d’André Pochon (3). Aujourd’hui, le parcellaire se compose de 22 hectares de prairies permanentes, 18 hectares de prairies temporaires (ray-grass anglais, trèfle violet, trèfle blanc ou luzerne, dactyle, fétuque) et 6 hectares de mélange céréales. Fini le maïs, les compléments importés, la fertilisation chimique… L’autonomie s’étend à la transformation et à la vente : depuis 2001, Daniel et Monique recommencent à transformer eux-mêmes une partie de leur lait en beurre et fromages. Le passage en bio a suivi, de manière naturelle, dans la foulée. Julien, leur fils, a rejoint la ferme en 2007. Leur bilan, c’est que l’on vit mieux et que l’on gagne un meilleur revenu grâce à l’autonomie et en produisant moins de litres de lait par vache… Qui l’eut cru ?!

Maximiser le pâturage

La clé de l’autonomie, c’est le pâturage. Les 22 hectares de prairies, permanentes pour la majorité, qui entourent la ferme ont été découpés en quarante parcelles sur lesquelles les vaches font des rotations rapides. « On peut considérer, explique Daniel Raucq, que les vaches séjournent environ un jour ou un jour et demi sur chaque parcelle ; elles y prélèvent l’herbe la plus riche qui est équilibrée et qui est présente en abondance. Les génisses et les vaches taries ont des besoins moindres et terminent le pâturage de ces parcelles. Entre deux pâturages, on accorde un temps de repos aux prairies : cinq à six semaines, soit le temps nécessaire pour que la pousse verte soit maximale et que l’herbe devienne riche et équilibrée. C’est aussi ce qu’il faut pour que les graminées constituent suffisamment de réserves afin de « repartir » facilement après un pâturage… ».

Les prés sont à base de ray-grass anglais et de trèfle blanc. L’association de ces deux plantes permet de produire et de pâturer facilement durant de nombreux mois une herbe abondante, riche et feuillue sans utiliser le moindre gramme d’engrais azoté de synthèse. En moyenne sur l’année, et en kilogrammes de matières sèches, l’apport de l’herbe pâturée représente près de 70 % de l’alimentation des vaches laitières. Chaque parcelle dispose de deux entrées de manière à éviter la formation de bourbiers, ainsi qu’un point d’eau évitant aux vaches un retour vers l’étable et leur permettant de produire davantage de lait.

Fourrages et concentrés issus d’une rotation prairies temporaires-cultures

L’alimentation hivernale est basée sur les foins, issus des prairies temporaires de fauche, à base de légumineuses et de graminées. Les prairies temporaires sont les têtes de rotation idéales pour de nombreuses cultures, ce qui est important, surtout en agriculture biologique. Trois à quatre ans de prairie temporaire se succèdent avant la culture des céréales. Elles permettent de réduire les apports d’intrants sur les cultures qui vont suivre. Elles apportent de la matière organique et jouent un rôle inhibiteur sur les adventices.

Les prairies temporaires sont de deux types : un mélange ray-grass anglais tardif – trèfle blanc – trèfle violet (dose de semis : 20-25 / 2 / 1,5) et un mélange luzerne – dactyle – fétuque (22 / 4 / 4). Le premier mélange est difficile à faner, il est donc généralement récolté en préfané. Le second est récolté sec et fournit un foin riche en protéines, en structure, en minéraux et vitamines. Daniel met une attention particulière à ne pas perdre les feuilles de luzerne lors du fanage. La luzerne élimine les chardons et supporte très bien la sécheresse. La culture en mélange avec des graminées produit davantage, mais il faut veiller à ce que le dactyle ne prenne pas le dessus. Daniel va tester le mélange sans dactyle (22 / 7-8 / 0).

L’alimentation concentrée est faite de céréales fourragères, essentiellement un mélange de triticale et d’avoine ou d’orge et d’avoine. L’apport de ces céréales aplaties permet d’avoir une excellente production laitière. Les vaches disposent en moyenne d’un kilo de concentré par jour en été et deux en hiver. La production de ces concentrés exige peu ou pas d’intrants. De plus, ce sont des mélanges étouffants qui maintiennent le sol propre.

Travailler avec des prairies permanentes et temporaires permet de produire de grandes quantités d’aliments riches en énergie, en protéines et en éléments minéraux. Un hectare de prairie, par exemple, peut produire deux tonnes de protéines par an grâce au trèfle, alors qu’un hectare de soja n’en produit que neuf cents kilos ! Une telle richesse permet d’être totalement autonomes en protéines : pas d’achat de soja, souvent utilisé en complément du maïs – et pas de transport, une fois de plus. Enfin, pas de participation à la déforestation, ni d’utilisation d’OGM…

La valorisation du lait à la ferme

Bien nourries, les vaches de Daniel produisent en moyenne 7.000 litres par lactation et font 6 à 7 lactations sur leur vie. Un quart du lait est transformé à la ferme tandis que le reste est repris par la Laiterie des Ardennes en bio. Un jour par semaine, 550 à 600 litres de lait sont consacrés à la réalisation du fromage et 100 kg de beurre sont également produits. La fabrication du fromage se fait en une grosse journée avec des périodes d’attente où l’on peut se concentrer sur d’autres tâches. La transformation est très consommatrice en temps mais elle permet d’apporter une plus-value sur le lait qui est d’une excellente qualité. La vente se fait à la ferme à plus de 50 % malgré sa situation isolée. Monique aime beaucoup le contact avec la clientèle. Le reste est vendu à des groupements d’achats et à des magasins locaux. Daniel pense qu’il faudrait développer les petites coopératives de transformation du lait en Wallonie.

Bilan écologique et économique

L’avantage de conduire les vaches au pâturage est multiple. D’abord, la vache fait tout le travail elle-même. Les tâches de récolte et de distribution n’incombent pas à l’éleveur, ni d’ailleurs l’épandage des effluents, ce qui permet d’importantes économies sur la consommation d’énergies fossiles et une limitation des émissions de CO2. La fumure azotée des prairies est fournie par les légumineuses, ce qui épargne l’épandage d’engrais azotés exigeants en énergies fossiles pour leur fabrication et leur transport. Les prairies ne reçoivent aucun traitement chimique. La fertilisation se limite à un apport de fumier composté (10-12 tonnes) et de lisier (12.000 litres), à un chaulage tous les trois ans et à une rectification des teneurs en phosphore (P) et en potassium (K) sur base d’analyses de sol, par incorporation d’algues et de phosphates naturelles dans le fumier et le lisier de la ferme ainsi que par un apport de kaïnite.

Le paillot est une surface paillée mise à disposition des vaches à la sortie de l’étable en hiver, soit environ deux mois par an chez Daniel. Il faut clôturer une surface correspondant à 10 m² par vache et la couvrir de paille (compter 50 kg par vache au départ puis environ 10 kg par jour). Les vaches y ont accès à volonté. Le paillot est composté au printemps pour fertiliser les terres.

Par ailleurs, une prairie permanente signifie qu’on ne doit jamais labourer ni ressemer ; des économies importantes d’énergies fossiles sont donc, là aussi, à la clé. Leur taux d’humus est très important et elles constituent, à ce titre, d’importants stocks de CO2. On émettrait beaucoup de CO2 dans l’atmosphère si on devait, un jour ou l’autre, les retourner pour y installer des cultures. Parmi les autres avantages d’un tel type d’exploitation, on peut encore citer la lutte contre l’érosion des sols, les inondations et les coulées de boues. Donc, pas de dépenses énergétiques supplémentaires pour la collectivité, lors du nettoyage des voiries ou du dragage des fleuves… Les prairies aident au maintien de la biodiversité. La qualité du foin et des céréales permet d’avoir une productivité de sept mille litres de lait par vache et par an. De plus, les vaches font de nombreuses lactations, à l’inverse des vaches qui sont nourries uniquement de maïs et de soja. Elles doivent donc être moins souvent remplacées. Il faut alors élever moins de génisses ce qui réduit l’impact sur l’environnement et sur le portefeuille.

Une des principales spécificités de la ferme Raucq est la faible charge d’investissement et d’amortissement du matériel, dû au type de système simplifié adopté, à l’utilisation réduite de celui-ci en terme de nombre d’heures par an, au bon entretien et à un renouvellement minimal.

Enfin, la production est locale ; elle permet de réduire fortement le transport, de même que l’énergie fossile qui y est liée.

Un cas particulier, une réflexion à essaimer !

Bien entendu, le cas de la ferme Rauq est unique comme chaque ferme, mais les principes qui ont forgé sa reconversion sont eux applicables par tous et sont susceptible de déclencher, chez certains éleveurs, une réflexion proactive sur leur façon de travailler, qui implique à la fois l’environnement, la qualité de vie, la réussite économique… Maximiser le pâturage, optimiser la taille des parcelles pâturées et leur temps d’occupation, faire suivre les animaux les plus productifs par les génisses et vaches taries au pâturage, installer des prairies temporaires en rotation avec des céréales, associer légumineuses et graminées pour réduire la fertilisation azotée des cultures et obtenir un fourrage protéiné…. des idées à essaimer ! Il faudra pouvoir adapter le modèle en fonction des potentialités et des réalités locales.

4 - Cover brochure.jpgAller plus loin

L’étude complète « Agriculture biologique et changements climatiques – Bonnes pratiques agricoles permettant de limiter les émissions de gaz à effet de serre au niveau de l’exploitation agricole : étude de cas autour de la ferme Raucq » est disponible ICI.

Références

 (1) Dominique Soltner, Les bases de la production végétale – Tome 1 : Le sol et son amélioration, collection Sciences et Techniques agricoles, 2003.

(2) André Voisin, Productivité de l’herbe, réédition de l’ouvrage publié en 1957, éditions France agricole, 2001.

(3) André Pochon, La prairie temporaire à base de trèfle blanc, Éditions CEDAPA-ITEB, 1996.

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