Mardi 14 juin 2016, rencontre avec René Theissen au sein de sa ferme laitière à Manderfeld, dans la commune de Bullange, dans les Cantons de l’Est.
La ferme comprend l’élevage d’une centaine de vaches laitières (140 bovins au total) pour une surface de 110 hectares de prairies dont 30 hectares sont à haute valeur biologique, en forte pente ou plus éloignés de la ferme. 40 hectares se trouvent à proximité directe de la ferme et est utilisée pour le pâturage tandis que 40 autres hectares sont utilisés principalement pour la fauche avec une possibilité de pâturage en cas de manque d’herbe. Aucune charrue, peu de clôtures, moins de chemins d’accès et de points d’eau, pas d’ébousage, ni de fauche des refus, aucune culture si ce n’est la pousse de l’herbe… et donc, peu de travail, peu de coûts pour une productivité tout à fait acceptable, fournissant un revenu à René et ses deux filles, Elena et Simone. Un réel modèle d’autonomie !
La ferme pratique depuis 7 ans la méthode de pâturage sur gazon court. Cette technique vise à garder l’herbe courte (hauteur de maximum 6 ou 7 cm) pendant toute la saison de végétation. La technique consiste donc à ajuster continuellement la surface de pâturage disponible de manière à arriver à ce que la consommation journalière des vaches égale la croissance de l’herbe dans la prairie.
Le bétail est sorti très tôt en pâture, habituellement mi-mars, et un complément de fourrage grossier est donné dans un premier temps. Ensuite, de la mi-avril à la mi-mai, 25 à 30 ares par vache suffisent, sans apport complémentaire de fourrages. Dès le début mai, la croissance de l’herbe atteint un pic. Il faut surveiller la forme, l’étendue et la couleur (qui doit rester verte) des refus et réagir rapidement dès que la hauteur d’herbe tend à augmenter. Habituellement, 4 à 5 ares par vache sont retirés de la pâture pour être fauchés. Cette année, 5 hectares sont concernés. Après la fauche, les terrains sont à nouveau pâturés pour compenser le ralentissement de la croissance de l’herbe en été. Les 40 hectares de pâture sont divisés en deux parcelles gérées en parallèle : le troupeau y alterne entre chaque traite.
L’herbe constituant la prairie est adaptée à ces conditions. Le gazon est plus dense, talle davantage sous l’effet du piétinement et laisse peu de place au développement d’adventices. Le rumex, par exemple, supporte mal d’être brouté à répétitions et s’épuise. Par contre, le ray-grass anglais se plaît bien dans ces conditions, de même que le trèfle blanc qui bénéficie de beaucoup de lumière et enrichit la prairie en azote. Les prairies sont plus portantes, souffrent moins du piétinement. Pas question de rénover des prairies : la flore est adaptée, à quoi bon la changer et perturber la vie du sol ? Les vers et les légumineuses sont des ouvriers gratuits, ils veillent à la bonne alimentation du troupeau.
Le pâturage sur gazon court fournit de l’herbe riche en protéines et très digeste aux vaches, un vrai aliment concentré pour la production laitière ! La faible hauteur de l’herbe impose un broutage intensif, augmentant la salivation ce qui prévient les acidoses du bétail. Optimiser l’utilisation de l’herbe passe aussi par le groupement des vêlages, entre janvier et fin avril, ce qui permet aux vaches de disposer de la meilleure herbe lors du pic de lactation. Le rendement laitier moyen de la ferme Theissen est de 5.500 à 6.000 litres de lait par vache et par lactation, mais René n’aime pas considérer ce paramètre car il ne prend pas en compte les dépenses en intrants et la quantité de travail. De même, il souligne qu’il est plus intéressant de parler de nombre de litres de lait par hectare plutôt que de quantité de matière sèche. Les vaches laitières de la ferme Theissen reçoivent 350 kg de concentrés par vache et par an, juste le nécessaire pour les encourager à rentrer pour la traite. A titre de comparaison, les fermes des environs produisent en moyenne 7.000 à 8.000 litres de lait avec 1.500 kg de concentrés par vache. L’entièreté du lait de la ferme Theissen est reprise par la laiterie Arla en bio (conversion en 1998).
60 % des vaches sont inséminées avec du Blanc bleu belge pour la valorisation des veaux en viande. Le croisement permet en effet de gagner environ 200 euros en plus par animal. Le reste (40%) est inséminée avec de la Jersey pour le renouvellement des laitières. Les Jersey sont des vaches plus petites et plus légères et elles donnent autant de lait que les Holstein croisées Montbéliardes et Fleckvieh de la ferme. 15 à 20 veaux sont gardés chaque année pour succéder aux vaches réformées. Les veaux reçoivent du lait entier à volonté pendant le premier mois puis de moins en moins jusqu’à être sevrés. René et ses filles tentent également d’élever des veaux croisés Blanc Bleu élevés au pis.
René élève également deux truies et cinq jeunes porcs en plein air dans une parcelle de prairie. Etant donné qu’il ne souhaite pas les laisser fouir, les animaux ne sont pas certifiés bio. Ils sont abattus à Prüm, transformés par un boucher pour être vendus à une clientèle locale. Les porcs sont nourris essentiellement à l’herbe, avec du lait et très peu de granulés.
La conclusion de René Theissen : « Il faut réapprendre à valoriser l’herbe, travailler moins pour gagner plus ». Si la technique du pâturage continu sur gazon court n’est pas applicable à toutes les fermes, elle peut néanmoins mener à une réflexion sur la valorisation optimale de l’herbe, nourriture idéale tant en qualité nutritive qu’en terme d’économie pour la ferme.
Très bonne réflexion pour tout le monde