L’histoire de Marguerite, la vache (1ère partie)

Connaissez-vous l’histoire de Marguerite, la vache ?

 Partie 1 : Ceci est une fiction

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« Mamie, mamie ! S’il te plait, raconte-nous l’histoire de Marguerite, la vache ! » Les trois jeunes enfants se serrent contre la vieille femme, une tablette à la main. Léa regarde ses petits-enfants avec tendresse, puis se tourne vers la fenêtre. Son regard se perd dans le paysage garni de jardins et de maisonnettes. « Des vaches, cela fait un moment que nous n’en avons pas vues », pense-t-elle. Les marmots se font insistants, brandissant la machine à images où se trouve une jolie vache colorée. Il suffit de pousser sur « play » et commence le dessin animé, il ne reste alors plus qu’à lire le sous-titre pour entrer dans le monde de Marguerite, la vache.

Léa prend une inspiration et se lève, ouvre une vieille armoire et attrape un livre. « Un grimoire ! » Les enfants sont impressionnés devant l’ouvrage en papier, devenu si rare à l’aube du 22ième siècle. La vieille dame s’assit auprès des enfants et ouvre le précieux document. Les pages jaunies glissent sous sa main et laissent apparaître des images. Cela fait une éternité que Léa n’a plus eu le courage d’ouvrir l’album de famille. Des émotions la traversent. Cette fois, Léa ne souhaite pas lire d’histoire édulcorée pour enfants, elle veut raconter son histoire, leur histoire. Les enfants doivent savoir, comprendre le monde d’aujourd’hui.

La ferme était la fierté de la famille. Au début des années 2000, lorsque Léa a repris la ferme avec son mari, une cinquantaine de vaches laitières composaient le troupeau, chacune d’elles ayant reçu son petit prénom, des noms de fleurs. Marguerite était la plus belle, fruit d’une sélection soigneuse pendant des générations. C’était un beau métier malgré le travail intense, jamais Léa et Pierre ne se seraient vus faire autre chose, et leurs jeunes enfants gambadaient parmi les vaches, fiers d’aider à distribuer le foin.

Puis, en 2009, la crise du lait a éclaté. Les prix ont chuté drastiquement, tandis que Léa et Pierre ont investi dans une nouvelle salle de traite aux normes. Habituellement, lors d’aléas climatiques par exemple, les fermiers font le dos rond, attendent une année meilleure qui équilibrera les finances. Mais les crises se répétaient, tous les trois ans environ. L’ouverture des marchés due à la nouvelle politique agricole commune, la suppression des quotas laitiers, la volonté de certains producteurs à produire toujours plus en voyant leur salut dans la quantité et non la qualité générait une surproduction de lait.

Comment réagir ? Les conseillers proposaient d’agrandir les troupeaux, de produire plus de lait sur la ferme pour compenser les prix plus bas du marché mondial. Léa et Pierre ont investi dans une nouvelle étable et ont racheté les terrains de quelques voisins en faillite. Parmi eux, il y avait Arnaud. Avec son petit troupeau de vingt vaches, il n’a pas survécu à la crise : les laiteries ne passaient plus prendre son lait car le détour occasionnait trop de frais pour la faible quantité de lait qu’il produisait. Léa et Pierre ont tenu cinq ans avec cent cinquante vaches, adaptant comme ils le pouvaient leur système d’élevage. En vain.

La Nouvelle Zélande produisait du lait en dessous du prix de revient de celui de Léa, et les pays du Nord de l’Europe ont poursuivi dans les marchés de l’exportation. Comment notre lait wallon de qualité pouvait-il survivre devant les fermes géantes et les pressions de l’industrie pour de la matière première bon marché ? La faillite de la ferme fut fatale pour la famille. Pierre, qui souhaitait poursuivre son élevage avec passion, dans la qualité, dans le bien-être animal, tout en gardant sa liberté, s’est retrouvé piégé dans un système de plus en plus exigeant. Quel avenir laissait-il à ses deux enfants ? La pression était trop forte, Pierre s’en est allé, comme de nombreux autres fermiers de la région. Un véritable drame humain s’est abattu sur la Wallonie, dont il est encore si difficile de parler aujourd’hui. Personne n’a pu résister à la pression des marchés mondiaux en Wallonie, étant donné le climat, le prix des terres, les normes environnementales…

Aujourd’hui, le lait du magasin est acheté à trois firmes mondiales issues de la fusion de nombreuses laiteries et industries des pays producteurs de lait. Léa se souvient du goût du lait fraichement sorti du pis de la vache. Et de ces fromages au lait cru que l’on produisait à la ferme ou dans de petites entreprises familiales dans les communes voisines. Des produits pleins de saveurs, si bons pour la santé. Maintenant, trois marques de lait se partagent le marché en une variété de produits qui laisse penser que l’on a gardé la même diversité qu’avant. Il y a des laits écrémés, demi-écrémés et entiers, bien sûr, mais aussi des laits enrichis en vitamines, en protéines, riches en oméga 3, des laits colorés… tous recomposés à partir de poudre de lait.

Comment raconter ce passé aux enfants, formatés par l’une des plus grandes industries à travers le matériel promotionnel de « Marguerite la vache » ? Comment leur dire que les paysages étaient autrefois façonnés par les prairies et les cultures, parsemés de vaches et autres animaux d’élevage, que l’on achetait son lait à la ferme, sa viande chez le boucher, son pain chez le boulanger, qui tous se fournissaient de produits locaux. Depuis l’abandon presque total de l’agriculture en Wallonie, les paysages se sont peuplés de maisons, de zones de loisirs, de chevaux, de sapins de Noël, de forêts… mais où est donc passé notre patrimoine, notre vie rurale ?

Une réponse sur « L’histoire de Marguerite, la vache (1ère partie) »

  1. l histoire est bien triste mais révélatrice de l état d esprit de nos agriculteurs/éleveurs . on peut remercier nos dirigeants de nous mettre dans la bouse jusqu au cou. j admire depuis toujours les gens de la ferme .vous n êtes absolument pas assez reconnus ni soutenus alors que c est vous qui nous nourrissez sans vous on mourrait de faim . j espère que des jours meilleurs vous attendent et qu enfin des décisions de bon sens soient prises par nos incompétents dirigeants (corrompus par l industrie agro-alimentaire ???)
    courage et merci

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